Lundi 17 février 2110
Cette soirée est horrible à mes yeux. Moi qui voulait juste voir Aiji, parler avec lui tranquillement, je me retrouve à écouter encore et encore un inconnu qui ne peut dire le moindre bien à propos de mes parents. Pire, il ne cesse de me répéter que Shan va en pâtir, que je ne suis pas aimé et que je devrais juste les abandonner. Il n’écoute pas ce que je ressens par rapport à tout cela. Il ne prend pas en compte la souffrance qu’il m’inflige. Il ne fait pas attention aux mots qu’il emploie, préférant rester aussi direct que quand il m’a dit que je suis schizophrène. Et même maintenant que je hurle et pleure, je me sens juste seul et livré à moi-même.
Rends-leur au centuple, non ?
Je crois percevoir la voix de Shan qui était, jusque-là, assez calme. Un fait surprenant qui ne m’a pas vraiment alarmé. Cette suggestion non plus n’obtient pas une réaction probante de ma part. Pas un seul regard au chat de fortune qui se trouve toujours sur le bureau. Mes pleurs ne cessent pas non plus puisque je ne comprends pas vraiment de quoi il parle. Leur rendre quoi exactement. Je secoue donc légèrement la tête pour signifier que je ne le veux pas. Il n’insiste pas, mais peut-être n’en a-t-il seulement pas l’occasion non plus.
Alors que mes pleurs ne tarissent pas, je perçois une voix que je commence à connaître sans le vouloir. Ses mots sont encore blessants et, contre moi-même, je me sens abandonné. J’ai l’impression que dans tout ce qu’il m’a dit, je n’ai pas vraiment eu une main tendue, juste un jugement sur mes parents et, maintenant, contre moi-même. Mais je ne réponds rien. J’en suis incapable. S’il veut m’abandonner, qu’il cesse donc de parler, de planter le clou encore et encore dans mon coeur et mon âme meurtris par tout ce qu’il m’a dit précédemment et qu’il veut m’implanter dans le crâne quitte à me briser sans m’aider à me relever. Parce qu’il fait c’est tout simplement briser mon univers sans la moindre considération. S’il a eu une mère qui l’a aimé et lui a donné ce qui est “normal” à ses yeux, pour moi, ce qui l’est c’est rien d’autre que ma situation actuelle. La douceur ? Les câlins sans douleur ? Le manque de punitions ou de coups ? Ce n’est pas normal.
Ben pourquoi tu lui montres pas en l’frappant alors ?Cette idée… est tentante. Mais je sais que je n’ai pas la force pour aller à son encontre. Je ne l’aurais peut-être jamais. Je l’abandonne donc presque immédiatement après m’en être étrangement réjoui. Qu’est-ce qui est en train de m’arriver ? Choqué par mon propre comportement qui ne me ressemble pas, je cesse doucement de pleurer. Je ne regarde pas l’inconnu qui a à nouveau cessé de parler maintenant qu’il m’a fait une sorte de recommandation couplée avec une sorte de menace. Ne pas pleurer si quelque chose arrive… Il ne sait rien. Tout comme il ne sait pas que je ne suis pas du genre à me plaindre. Pas que je sache. Il n’a donc rien à craindre.
Doucement, pleurant toujours bien que plus doucement, je me redresse. Je ne porte aucun regard à cet étranger qui ne s’adresse plus à moi et récupère la peluche qui me regarde avec une certaine détermination. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il cherche à me dire pour le moment. De toute façon, je sais qu’il m’en parlera quand il le voudra. Alors, sans lui porter un seul regard, le chat dans mes bras, collé à mon cœur, je me détourne pour sortir. Tant pis pour le cutter. Cela ne sert à rien de se battre si c’est pour l’entendre me faire du mal à nouveau. Puis, il paraît que je n’écoute rien ni personne… Autant faire comme si c’est vraiment le cas au fond. Surtout que, c’est vrai, je ne veux pas voir ma vision du monde détruite et je veux croire que mes parents font tout ça pour mon bien. J’en suis persuadé depuis si longtemps, ils le disent constamment aux autres, alors pourquoi aurais-je tort ?
Alors que je sors de l’infirmerie pour retourner à contre cœur dans mon dortoir sans dire un mot, j’écoute Shan me dire ce qui le travaille. Son ton est ferme mais il ne me crie pas dessus et ne me gronde pas. Il cherche seulement à me faire comprendre ce qu’il pense en faisant en sorte que je l’écoute malgré mes pleurs :
Que tu veuilles pas lâcher tes parents est une chose. Mais j’pense qu’ce mec a pas tort non plus. Donc faut qu’tu fasse que’qu’chose. Au moins pour savoir, quoi. P’is, j’pense aussi qu’tu d’vrais agir un peu plus comm’eux.Agir comme mes parents. Agir avec violence…
Faudrais pas qu’je sois plus fort pour ça ?
Possible…Suite à ça, je continue à écouter les suggestions de mon meilleur ami en marchant lentement afin de retourner me coucher. Finalement, cet inconnu aura été sympathique sur un point : ce n’était pas de la drogue qu’il m’a donné à boire.